N’ayant plus beaucoup de temps à vivre, une Californienne se voit incitée par son assureur à se faire euthanasier

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Stephanie Packer est une mère de famille atteinte de sclérodermie en phase terminale. Son assureur, qui refuse finalement de prendre en charge la chimiothérapie que lui proposent les médecins, a décidé de ne rembourser que les frais du suicide assisté qu’il l’incite à demander.

La loi autorisant l’euthanasie en Californie est entrée en vigueur le 1er janvier de cette année, elle est combattue par des militants comme Stephanie qui s’y opposent au nom de leurs convictions éthiques, notamment chrétiennes dans le cas de cette dernière, profondément catholique.

Stephanie Packer et sa famille (photo avec son aimable autorisation).
Stephanie Packer et sa famille (photo avec son aimable autorisation).

A la tête d’une famille de quatre enfants, Stephanie Packer a appris à 29 ans, en 2012, qu’il lui restait environ trois années de vie. Il lui a fallu un mois pour réaliser la signification de la nouvelle, une période durant laquelle certains de ses amis ont choisi de s’éloigner d’elle. Mais, si elle se sent seule, Stephanie redoute que ses craintes ne représentent un fardeau pour les siens. La sclérodermie est une maladie du tissu conjonctif, lequel est nécessaire pour assurer la cohésion des cellules et tissus d’un organe ; dans son cas, la maladie a causé l’apparition de cicatrices dans les poumons, c’est le stade avancé de la maladie pulmonaire interstitielle, la fibrose pulmonaire.

La jeune femme respire donc avec de grandes difficultés, le pronostic de cette maladie est souvent mauvais. Pour Stephanie, le corps médical a reconnu la condamnation, et par la suite son tractus gastro-intestinal a été paralysé par le tissu cicatriciel, ce qui l’empêche d’ingérer autre chose que de petites gorgées d’eau. La mère de famille se bat avec d’autres malades au sein de groupes de soutien, comme elle a organisé l’opposition des jeunes de son église à la proposition de loi sur l’euthanasie.

De l’espoir médical au choc financier

La Californie est le cinquième État américain à avoir légalisé le suicide assisté, et sa loi s’inspire de celle de son voisin, l’Oregon, le premier État fédéré et au monde à avoir autorisé cette pratique. Elle permet d’accéder au suicide médicalement assisté si l’on a au plus six mois à vivre selon les estimations des médecins. Stephanie qui avait milité contre cette légalisation ne pensait peut-être pas qu’elle serait utilisée contre elle, et elle a entrepris des des démarches médicales et assurantielles. Pendant environ cinq mois, elle subit une chimiothérapie avec un médicament pour les perfusions différent de l’habituel, moins toxique.

En faisant le va-et-vient pour obtenir une réponse de son assureur, Stephanie Packer fut finalement rassurée, les dépenses médicales seraient couvertes. Et sans s’inquiéter au sujet des finances, elle continua à suivre son traitement, avec espoir. Elle avait découvert par ses recherches que le meilleur spécialiste de la maladie dans le monde exerçait dans son État. Sept cycles de chimiothérapie lui permirent de reprendre quelque peu espoir, son organisme y répondait bien et les médecins pensaient que son état pouvait s’améliorer à défaut d’une guérison totale. Selon eux, cette amélioration faisait de Stephanie une candidate potentielle à des thérapies plus avancées qui s’étaient déjà révélées prometteuses concernant d’autres malades. Cependant, peu après la légalisation de l’euthanasie, son assureur lui annonça revenir sur son engagement.

Nous prenons votre euthanasie en charge, contrairement à votre chimiothérapie, et vous n’aurez à payer qu’1,20 dollar

Confrontée à l’absence de motivation du rejet de sa demande, Stephanie chercha à en savoir davantage. La lettre ne parlait pas d’euthanasie. Elle appela l’assureur qui lui fournit une réponse évasive. Elle lui demanda alors si ses dépenses seraient prises en charge dans le cas où elle choisirait le suicide assisté et son interlocuteur opina :

« Oui, nous prenons cela en charge, et vous n’auriez à payer qu’1,20 dollar. »

La famille sur qui repose désormais l’obligation de payer les frais médicaux n’entend pas se laisser faire, mais Stephanie Packer a été déboutée à deux reprises par les tribunaux. L’assureur n’avait pas exactement déterminé les conditions de l’engagement, il avait accepté de couvrir les dépenses médicales tout en précisant qu’il devait encore régler l’un ou l’autre point. Cet abus n’est pas nouveau, il a déjà eu lieu sous d’autres formes dans l’Oregon voisin.

En 2008, un résident de l’Oregon s’était vu notifier par courrier le refus de la Caisse d’assurance maladie de lui rembourser ses dépenses de chimiothérapie. Il lui fut, en revanche, proposé de se faire euthanasier au frais de cet État fédéré. L’administré, un homme de 53 ans, atteint d’un cancer avancé de la prostate, ne disposant pas de mutuelle, pensait bénéficier du plan d’assurance maladie de l’État. Mais les services administratifs de son comté l’informèrent du refus de prendre en charge une chimiothérapie trop onéreuse par rapport au sursis qu’elle permettrait.

De la prétention d’un droit moral à mourir à un devoir économique de mourir

D’autres malades du cancer reçoivent le même courrier qui se réfère aux directives prises en applications d’une loi disposant qu’il faut avoir plus de 5% de chances de vivre encore au moins 5 ans. Ainsi, Barbara Wagner, une Orégonaise atteinte d’un cancer du poumon apprit qu’elle bénéficierait d’une couverture médicale concernant les soins et le confort si elle choisissait le suicide assisté. En effet, certains  traitements ne sont pas remboursés alors que l’euthanasie est prise en charge par les caisses d’assurance maladie. Pour pallier la carence des services publics, une compagnie pharmaceutique décida de lui fournir pendant une année des médicaments sans contrepartie.

Le calcul est cynique et il s’apparente à du chantage : si vous n’acceptez le suicide, vous mourrez sans couverture médicale, éventuellement en souffrant davantage

Le calcul est cynique et il s’apparente à du chantage, le malade peut choisir d’abréger ses souffrances, auquel cas il n’aura quasiment rien à payer, ne laissera pas davantage de dettes à ses héritiers et ne sera pas pris à la gorge par des créanciers ; ou il peut choisir de vivre jusqu’au jour où sa santé le lui permet, mais il doit assumer alors sa vie et accepter de la terminer dans des souffrances encore plus atroces s’il n’a pas de quoi payer ou l’appauvrissement. En dépit de ces dérives, les partisans de l’euthanasie continuèrent à prétendre que l’Oregon avait prouvé que le suicide assisté pouvait être légalisé sans abus, ce qui fit dire à l’avocat Wesley Smith, alors directeur de l’International Task Force on Euthanasia and Assisted Suicide, une ONG active contre la légalisation de cette pratique, que si l’Oregon est présenté comme le modèle pour le suicide assisté, « il est clair que sa légalisation conduit à l’abandon, de mauvaises pratiques médicales et un mépris pour l’importance de la vie des patients ».

Pourtant cette loi sur la mort dans la dignité dont s’est inspirée la Californie était présentée comme équilibrée, laissant sa liberté à chacun et encadrant strictement l’assistance au suicide. Ainsi, dans le cas où la lucidité d’un patient qui demande la mort est mise en doute, sa demande doit être examinée par un psychologue ou un psychiatre qui doit s’assurer qu’il ne souffre pas d’une altération du jugement, selon le point127.825 §3.03 de la loi. Le point 443.1 de la loi californienne prévoit les mêmes conditions, mais les pressions effectuées sur un malade désemparé et qui risque d’être médicalement démuni et mourir dans de plus grandes souffrances que s’il était accompagné ne sont-elles pas constitutives d’un vice du consentement de même valeur que l’absence de lucidité du malade ?

Cette pratique rejoint celle de la discrimination par les tests génétiques pratiquée aux États-Unis jusqu’en 2008

L’esprit de cette pratique rejoint celle des tests génétiques autrefois pratiqués aux États-Unis jusqu’à l’interdiction par la Genetic Information Nondiscrimination Act du 21 mai 2008 qui interdit aux employeurs et aux assureurs d’utiliser les informations génétiques pour distinguer entre leurs salariés ou assurés. Des entreprises se basaient sur les prédispositions génétiques pour refuser d’embaucher ou d’assurer des demandeurs. En 1996, la revue Science avait révélé l’importance du dépistage génétique dans le refus d’embaucher ou d’assurer, selon la perception des 332 sondés, tous porteurs d’un trouble génétique ou parents d’une personne atteinte : 43% se considéraient comme victimes d’une discrimination génétique, 25% n’avaient pu obtenir d’assurance vie, 22% étaient privés d’un accès à une assurance médicale, et uniquement 13% avaient pu obtenir un emploi. A titre de comparaison, seuls 3% des Américains se voyaient refuser une assurance vie. La pensée est la même, éviter ceux qui sont susceptibles de représenter une dépense exceptionnelle.

Le calcul fait concernant les malades comme Stephanie Packer ou Barbara Wagner est également utilitariste, et le média Oregon Live avait publié une justification de cette politique parlant du choix de l’État de faire le plus grand bien possible, ce qui implique de faire des sacrifices. La conception utilitariste de la société, si elle vise au bien-être du plus grand nombre, considère que c’est le solde net du bonheur qui compte, peu importe si certains doivent être oubliés. « Or, nous ne pouvons couvrir tout le monde. L’argent des contribuables est circonscrit aux programmes financés par l’État. Nous essayons de trouver des politiques qui offrent le maximum de bien pour la plupart des gens », avait déclaré le directeur du Plan de Santé de l’Oregon en arguant que les chances de rémission de Barbara Wagner étaient trop faibles pour qu’elle méritât une couverture médicale. D’une caisse publique à une assurance privée, l’impact de ces lois dans certains États américains ouvre la porte sur l’intérêt économique.

Hans-Søren Dag


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